La Rochefoucauld pointe la difficulté de reconnaître le mérite véritable en soulignant que les apparences ne nous le donnent jamais. Dans la mesure où nous n'avons affaire, la plupart du temps, qu'à des masques, et où les apparences sont pure trahison, nous ne pouvons juger du mérite.
Le désir de faire juger de notre propre mérite procède de la dictature de l'amour-propre, qui ramène tout à lui et nous fait croire que ce qui nous arrive est due à nos propres qualités, et non à la fortune ou à nos humeurs. Même avec ceux qui nous sont le plus proches, avec nos amis, la reconnaissance du mérite est faussée, parce que nous ne nous intéressons à leurs qualités, et ne les apprécions comme telles, que dans la mesure où elles servenet notre propre intérêt. Aussi reconnaître le mérite d'un ami, c'est vouloir être loué soi-même, et les maximes sur les louanges reflètent particulièrement bien le problème de l'interférence de l'amour-propre dans la reconnaissance du mérite de l'autre.
Les qualités propres capables de fonder le mérite sont elles-mêmes sujettes à caution, puisque, loin de résulter du seul effort personnel, elles sont déterminées à la fois par les humeurs (la nature en nous) et par la fortune, selon la double généalogie qu‘en donne La Rochefoucauld. Ainsi la force intérieure qui est seule capable de déterminer des actions relevant du domaine moral, en bien comme en mal, cette force qui semblait pouvoir donner le fondement d'une nouvelle morale pour ainsi dire pré-nietzschéenne, n'est finalement elle-même que le résultat d'une certaine disposition des organes du corps et non d'une libre détermination de l'individu.
Mais si nous ne sommes pas responsables de notre essence, de nos qualités dont la nature est si peu sure, nous sommes à tout le moins responsables de l'utilisation de ces qualités. Ce qui nous donne droit à louanges ou à récompenses, c'est mions la possession de certains dons que l'utilisation que nous sommes capables d'en faire: “ce n'est pas asssez d'avoir de grandes qualités; il en faut avoir l'économie”.
Du côté du récepteur comme du côté de l'émetteur, le mérite était simplement un des pseudonymes de l'amour-propre ou, plus précisément, du désir de l'amour-propre de tout ramener à lui. Mais La Rochefoucauld nuance sa critique des louanges, en soulignant que le désir de mériter les louanges qu'on nous donne fortifie notre vertu. D'ailleurs ses plusieurs maximes sont sous-tendues par l'idée que le mérite vrai ne peut que dépasser la couche des apparences, pour manifester, d'une manière ou d'une autre, la valeur authentique.
L'originalité de La Rochefuocauld réside justement en ce que le signe social peut se faire ici, indissociablement, signe moral, au sein d'une civilisation où la politesse peut n'être pas seulement superficialité, mais aussi formation des coeurs. Dans la mesure où un tel signe existe, la possibilité de juger authentiquement du mérite semble pour une part rétablie, puisque le mérite véritable peut percer la couche des apparences pour se manifester en élévation. Enfin La Rochefoucauld souligne à maintes reprises, que nous ne pouvons connaître notre propre fond; il s'agit bien plutôt de faire venir à l'être ma propre vérité dans et par sa révélation en une apparence. L'amélioration de soi passe par le perfectionnement de son air, en ce qu‘il est la vérité de chacun.