Le geste dans l'espace textuel est une des caractéristiques du roman dans la littérature moderne. Les Nouveaux Romanciers s'attachent plutôt à représenter le geste comme langage corporel qu'à décrire les décors. La même sensibilité se retrouve dans le théâtre et le cinéma contemporains. Novatrice chez Marguerite Duras, la pertinence du geste caractérise son univers de création et se traduit aussi dans son exploration des écritures dramatiques et cinématographiques.
Les notations gestuelles relèvent d'une façon générale d'un mode de communication. Les critiques les étudient depuis longtemps dans les arts visuels. Dans l'espace textuel, le geste se propose aussi comme code à déchiffrer. Du fait de son sens caché, il joue non seulement un rôle de communication corporelle, mais assure aussi une fonction référentielle. Langage non verbal mais souvent associé à des mots, ce procédé participe d'un effet de descriptif. La portée du geste dans l'écriture durassienne importe dans la mesure où l'auteur lui donne la valeur d'un signe.
Cela nous a amené à étudier chez Duras le geste sous l'angle de cet espace minimal de l'action propre au personnage. Ainsi le langage gestuel du corps inscrit dans le texte, à la fois parlant et parlé, confère plusieurs visées de sens aux déplacements. En effet, l'indication du geste comme tableau figé, ou comme scène, révèle la présence d'un code qui nécessite une interprétation, un transcodage dans le vocabulaire sémiotique. Par ailleurs le geste établit le véritable dialogue avec l'autre, le mot accompagnant seulement le langage des corps, le révélant dans le dialogue amoureux ou au contraire, étant révélé par lui, tant il est vrai que le langage des corps, contrairement à la communication verbale, ne saurait mentir. Ce point culmine dans la scène d'amour qui s'épure chez Duras au point de n'être plus qu'une énumération de gestes donnés sans explication, témoignant de cette 'décomposition de l'événement'. Bien que les gestes mentionnés ne représentent pas une situation déterminée à première vue, ils signifient bien les enjeux des situations dans lesquelles ils sont saisis. Véritable langage, le geste accompagne le mot qu'il relie étroitement au corps dont il émane. Et sa fonction déictique en fait un outil-clé de la distanciation du présent: il ramène le temps narratif au plus près du temps de l'écriture. Le corps et l'esprit de l'homme établissent le lien entre les lieux et les moments distants, comme le poète réduit la distance entre les mots de sens éloignés.
L'espace textuel, étroitement lié au corps, nâit ainsi de ce jeu de distance entre l'existance et le désir que nous sommes amenés à sentir dans cet espace vivant.