Cet article est consacré à des phénomènes concernant l'occurrence du pronom clitique français EN. Le pronom clitique EN a un comportement très particulier par rapport aux autres pronoms clitiques français en ce qu'il peut avoir pour antécédent des éléments appartenant à des catégories différentes et anaphoriser une partie d'un syntagme nominal, ce qui a incité une abondance des recherches syntaxiques.
L'un des enseignements de la linguistique chomskyenne est qu'il convient de séparer scrupuleusement les composantes de la théorie grammaticale. Selon cette hypothèse, les principes discursifs et syntaxiques doivent être présentés comme deux ordres de principes différents, et complémentaires. Il s'ensuit que, pour élaborer une théorie grammaticale adéquate, il faut tracer avec précision la ligne de démarcation entre la grammaire de la phrase et la grammaire du discours. Mais la distinction entre la grmmaire de la phrase et la grmmaire du discours ne semble pas explicitée dans les recherches génératives, même dans les cas où elle est nécessaire. Faute de tracer une séparation nette entre syntaxe et discours, on est conduit à laisser entrer dans la description syntaxique toutes sortes de phénomènes qui en fait échappent à la grammaire de la phrase, parce qu’ils concernent non pas la structure interne des phrases, mais l'enchaînement des phrases entre elles et les contextes discursifs et énonciatifs où elles sont réalisées. Ainsi, certaines propriétés ont été “poussées” vers la syntaxe. Les contraintes sur les occurrences des pronoms français, en particulier le pronom EN, illustrent bien ce point: dans les recherches syntaxiques, on a souvent tenté de rendre compte des contraintes sur la distibution du pronom EN par les seuls principes syntaxiques, ce qui conduit à envisager les hypothèses qui ne donnent pas d'explication satisfaisante de l'ensemble des données, et créent souvent d'autres problèmes empiriques qui ne surgiraient pas sans elles. EN s'intéressant surtout à la pronominalisation du complément de nom par EN, cet article montre qu'on obtient une explication satisfaisante dès qu'on considère comme discursives certaines contraintes sur la pronominalisation par EN, en distinguant la grammaire de la phrase et la grammaire du discours. Ainsi, on observe d'abord qu'il existe des phrases dont les contrastes d'acceptabilité ne peuvent pas s'expliquer par la différence structurale (par exemple, la différence entre argument et non argument). On remarque, ensuite, que le pronom EN est lié au thème phrastique et qu'il faut tenir compte de la thématicité des deux SN quand il s'agit de l’antécédent de EN qui est le complément de nom. On propose donc une contrainte discursive (44) qui ne met pas en jeu de concept syntaxique, mais un concept discursif 'thématicité': dans un SN complexe 'SN1 de SN2', le complément de nom 'de SN2' peut être pronominalisé par EN si, et seulement si, il est plus thématique que sa tête SN1. Ainsi, les données mettant en jeu le pronom clitique français EN montrent que, pour rendre compte de sa distibution, on doit faire appel non seulement à des principes syntaxiques mais aussi à la notion discursive de thématicité.