Notre étude a pour but de lire les drames psychologiques de Henry Bernstein, drames caractérisés avant tout par la temporalité inscrite dans le texte. C'est la notion de "figure de tension" qui nous permet la lecture cohérente de ces drames tout au long de leur évolution. Nous entendons par la figure de tension le tempo narratif qui marque l'expérience du lecteur. Comme il s'agit de l'intention du narrateur qui mène l'attention du lecteur, la problématique du tempo se ramène à la rhétorique du temps narraif. Le drame bemsteinien se caractérise essentiellement par l'agencement des deux temporalités complémentaires : l'une vers la crise imminente, l'autre vers le souvenir profond. Elles sont, d'ailleurs, parsemés des moments de silence, ce qui fait naître la richesse rythmique de l'action dramatique. Ce génie de l'aménagement de la temporalité apparaît dans les chefs-d'oeuvre de la "tragédie bourgeoise", La Rafale et Samson au sommet. Puis, c'est dans les pièces de la "nouvelle manière" que la crise dramtique commence à se nuancer. L'auteur préfère mettre ses personnages, comme montre Le Secret, dans des situations plus subtiles et complexes : au lieu de s'affronter face à face dans une crise brève et violente, les personnages se replient vers eux-mêmes. Puis vient l'angoisse existentielle, l'anxiété qu'on ne peut expliquer de La Galerie des Glaces, et le désir désespérant de Mélo. L'important est que l'atténuation de la crise est accompagnée de l'élément de durée, et que la durée associée au regard vers l'intériorité des personnages engendre une autre temporalité spécifiquement bemsteinienne. Ainsi la temporalité des "romans dramatiques" de Bernstein atteint à sa pleine force quand la crise que vivent les personnages semble s'anéantir pour laisser le champ libre à des moments de statisme, des moments itératifs et intermittents de l'être. On voit là le passage du temps dramatique au temps narratif : la tension réside alors dans les moments où le narrateur marque sa présence de façon significative. Et le mouvement narratif accompagné de l'éclatement de l'espace dramatique va dans Mélo jusqu'à créer une temporalité cinématographique.