Cette etude fait partie de notre projet de recherche “La place de la litterature―une etude sur les rapports entre le sujet modeme et le corps tels qu'on observe dans la litterature francaise du 17e siecle au 20e siecle”. Notre projet a pour but de definir la place de la litterature qui s'efforcait de trouver son discours propre en reagissant aux discours philosophique et scientifique qui venaient a negliger l’existence concrete de l’homme. Ce travail sera fait a travers une reflexion sur le corps qui etait opprime depuis l’etablissement du sujet cartesien fonde sur le dualisme du corps et de l'esprit. Le 17e siecle se revele l’objet ideal de cette recherche puisque c'est une epoque non seulement de Descartes mais aussi de libertinage.
Au 17e siecle, le corps etait opprime depuis l’etablissement du sujet cartesien: la montee de rabsolutisme, le raidissement de la Contre-Reforme et le progres de la medecine ont egalement contribue au refoulement du corps. Sur le plan esthetique, le classicisme, entre autres, la regie des bienseances a exclu l’expression du corps dans le discours litteraire. Pourtant le corps n'etait pas ainsi refoule tout au long du 17e siecle. Il y avait un autre courant, celui de libertinage qui rend le droit au corps en concevant l’homme dans l’unite inseparable du corps et de l’esprit.
L'Ecole des filles, publie en 1655, est le premier manuel d'erotologie ecrit en francais qui pose les bases d'une science du plaisir physique. Cette oeuvre se compose de deux dialogues. Dans le premier, Susanne, sur la demande de Robinet, fait une education sexuelle de sa cousine Fanchon. Dans le second, Fanchon fait part a sa cousine de ses relations avec lui. Enfin les deux filles parlent des rapports sexuels, de l’amour et du plaisir.
Ce qu'on devrait d'abord remarquer dans cette oeuvre, c'est que l’amour releve du corps et vise a la satisfaction de l’instinct. L’homme est ainsi reduit au corps, a l’instinct et a l’animalita Or le corps, qui s'approche dans un certain sens du corps-machine du dualisme cartesien, se revele plutot le corps materiel du monisme libertin dans la mesure ou la materialite s'etend jusqu'a l’esprit. Ainsi l’amour, qui est un appetit corporel, se perfectionne en idee sprituelle; celle―ci se transforme en element corporel et devient enfin le plaisir.
Or ce plaisir n'est pas seulement celui du corps, mais aussi celui de l'esprit qui accede a un savoir nouveau. L'aiguillon du plaisir corporel eveille seulement l’intelligence de ces filles qui accedent, par la, a une meilleure connaissance du sexe. Et cette intelligence, a son tour, stimule le desir et precipite le passage a l’acte.
Pour conduire Fanchon de l’ignorance a la connaissance et de l’indifference au desir, Susanne utilise une pedagogie methodique: les matieres sont clairement subdivisees et rangees en categories distinctes. Bien loin de maitriser le corps, la raison, sa methode s’imposent comme les meilleurs allies du plaisir corporel.
Ce qu'on devrait encore remarquer dans cette oeuvre, c'est qu’il n'y a pas de trace de luxure ni de profanation. Il n'y a rien que des corps qui accomplissent, sans honte, la mission que la nature leur assigne. Et les deux filles, bourgeoises parisiennes parfaitement ordinaires, qui se soucient peu de culpabilite, parlent du sexe comme d’une activite ordinaire. Cela nous montre que le courant de libertinage qui rend le droit au corps est toujours vivant et meme se banalise au milieu du 17e siecle malgre le renforcement de censure. Et ce courant qui se prolonge par le theatre de Moliere, sera perfectionne dans le roman libertin du 18e siecle qui fournira la force, avec la philosophie des Lumieres, pour aboutir a la Revolution. L'originalite de cette oeuvre se trouve dans le fait qu'elle etablit un genre litteraire dont la fondation est attribute au siecle suivant.